Jeudi 10/05/2012

Jeu 10 Mai 2012 : Neil Cowley Trio
Neil Cowley
Piano
Horan Rex
Basse
Evan Jenkins
Batterie

Neil Cowley Trio

Concert à l'occasion de la sortie l'album "The Face of Mount Molehill" (/ NAIM / Hamonia Mundi)
Jazz

La nouvelle sensation power trio qui brouille les pistes est british et débarque en mars. Il jouait du Schostakowitsch au Queen Elisabeth Hall de Londres à 10 ans, puis découvre le rock, puis le jazz. Aujourd'hui, son trio compte parmi les formations de jazz récentes les plus importantes de Grande-Bretagne.

De fines lunettes et de longs doigts, Neil Cowley sous ses faux air de premier de la classe est plutôt le type de surdoué qui ne manque jamais de glisser une (deux, trois... et ainsi de suite) note d'humour entre les lignes. Pas le genre du sieur de se prendre trop au sérieux. Il a le bon sens de l'humour, so british, pince-sans-rire, qui laisse percer un rictus satisfait quand jaillit un trait bien placé. Et en musique, il en va de même. Pas question pour ce fringuant trentenaire de se la jouer dans la tradition. « Les musiciens de jazz britanniques que j'adore, comme Dudley Moore, un pianiste énormement sous-évalué, sont ceux qui sonnent typiquement anglais. Etre un jazzman en Angleterre, cela revient à être inaudible. La perception est bien différente de celle en France, où vous êtes tout de suite bienvenus. Mais je m'en fous après tout : ce qui me branche, c'est de faire de la musique, la mienne, si possible pas trop conne. »

Depuis cinq ans, il fait parler de lui outre-Manche, où son drôle de power trio renouvelle les codes de bonne conduite d'un jazz à l'anglaise longtemps engoncé soit dans le formol académique soit dans une formule simple et funky... Son format bien à lui renvoie à ses années de formation. Des leçons de classique pour commencer, Rachmaninov et Debussy en tête, avant que le prodige qui ne sentait pas tout à fait à son aise en de tels conservatoires décide de tout plaquer, à quinze ans, pour aller se taper la tournée des clubs de blues. Et puis très vite, à peine majeur, le ludion des claviers va commencer à jouer les touche-à-tous-les-registres, Brand New Heavies ou Fragile State, tendance plutôt électronique, mais aussi bientôt Adele la diva soul et ou Tom Jones le pape des crooners anglais. « Certes, j'ai suivi un cursus relativement académique, mais ma manière de penser ne l'est pas. Je privilégie l'expérience, le sens de la performance, le dialogue en temps réel. » Une certaine idée du jazz, quoi.

Les premières années du nouveau millénaire auront permis à ce curieux personnage, décalé de tous les clichés, de se bâtir un son singulier, au pluriel de tous ses subjectifs. Impossible de vouloir le ranger aux forceps dans une catégorie étriquée, difficile de résumer en deux mots son style. Tout juste peut-on dire que ces années éclectiques vont l'inspirer lorsqu'il choisit d'en revenir à son grand piano acoustique. Du trio jazz, il admet volontiers en avoir ingurgité gamin à la maison, quand sa mère se régalait des galettes de Fats Waller ou d'Erroll Garner. Quant à lui, il apprécie tout particulièrement le trio d'Ahmad Jamal : « Le sens de l'économie et l'énergie en même temps ! » Ce sont là sans doute deux des caractéristiques de l'art du trio selon Neil Cowley, que la critique comme le public n'ont pas manqué de comparer à quelques autres ovnis du troisième type apparus récemment dans la galaxie du jazz : les Suédois EST et les Américains Bad Plus. « Je prends cela comme un compliment d'être mesuré à eux, mais en même temps je ne peux me limiter à cela. EST, c'est EST. Personne ne peut faire mieux qu'eux. Je n'ai jamais rêvé de les copier à vrai dire, et si quelqu'un a ce sentiment, j'en serai triste. Quand je les ai découverts il y a une dizaine d'années, ils m'ont donné le courage de continuer dans ma voie. Mais quand j'ai trouvé ce chemin, j'ai alors décidé de ne plus jamais les réécouter. Et ça a été pareil pour Bad Plus, voici sept ans. » C'était juste avant qu'il fonde son trio, un son de rock dans le velours jazz, qui après deux premiers disques (Displaced en 2006 suivi de Loud... Louder... Stop) bien ouïes à Londres, va faire entendre la différence de son style en France, où son troisième opus, le bien-nommé Radio Silence, installe au tournant de 2010 un début de notoriété.

Elle devrait s'amplifier avec l'arrivée au printemps 2012 d'un quatrième volet de ce trio, produit par Jim Abbiss (Arctic Monkeys, Adèle, Ladytron, Kasabian), dont l'un des trois piliers a changé : le bassiste australien Rex Horan, vieil ami du batteur Evan Jenkins, du temps où ils vivaient aux antipodes (à Pearth plus précisémment), a intégré le band, en surlignant encore un peu plus la touche tout à la fois brute et esthète. « Ils sont ma main gauche, bien plus qu'une simple rythmique. Ils me donnent l'énergie, ils me filent des coups de pied au cul ! » Et c'est vrai que ce nouveau recueil met une bonne claque aux idées cramoisies d'un jazz engoncé dans ses archétypes. Plus que de reprendre des standards, Cowley persiste et signe un répertoire original, marqué par le sens de la mélodie pop rock qui peut rappeler par endroits la classe de Radiohead, par le goût de la boucle agencée apprise sur les dance-floors londoniens, et une vision cinématique héritée de John Barry, le Lord compositeur de bandes originales qui est l'une des ses références ultimes. Voilà sans doute pourquoi il convie cette fois un ensemble de cordes, dirigé par le violoniste et arrangeur Julian Ferraretto, pour le propulser en toute subtilité plus avant dans le monde magique de la musique kaléidoscopique. Là où tout est permis, des plages les plus recueillies à celles peuplées de bruits, du minimalisme sophistiqué aux turbulents renversements d'accords. Neil Cowley aime à jouer du paradoxe, de l'oxymore, d'où jaillit une savoureuse sève.

C'est ainsi qu'il faut entendre et comprendre The Face of Mount Molehill Mont, en référence à l'expression « Making a mountain out of a molehill» que l'on peut traduire par « en faire toute une montagne ». Soit tout un poème épique, constitué de douze miniatures ! « Ce titre renvoie à la manière dont je prends des choses quotidiennes et banales, pour les faire exploser en quelque chose d'épique et de romantique. Je suis, au fond, ce qui rend les montagnes musicales hors des taupinières. Les petites choses deviennent gigantesques. » Telle est la force de cette galette dont on n'a pas fini de faire le tour. Des éclats de rire plein les doigts aux accents de nostalgie, Neil Cowley en passe par de nombreux sentiments, sans jamais sombrer dans le pathos, toujours avec ce qu'il faut de distance amusée.

Emblématique de cette manière de (dé)jouer les conventions, l'ouverture de "Mini Ha Ha", basée sur un sample de rire de sa petite fille. «Elle jouait des bruits de pets sur un synthétiseur dans mon studio alors que je la filmais avec une caméra vidéo, et soudain, elle a laissé échapper ce rire mi Sid James-mi-Barbara Windsor. Il avait une merveilleuse musicalité ! » Du coup, il va l'harmoniser, en composer une mélodie qui peu à peu prend des atours plus méditatifs. Dessus, le pianiste s'élance dans une belle improvisation avec son trio, confirmant son habileté en la manière. Et le thème qui suit, « Slims », a tout du classique, un gimmick que l'on pourra fredonner aisément jusqu'au prochain été. Pour sûr, aucune plage ne ressemble à celle qui suit, toutes ressemblent bien à leur auteur. « Je voulais essayer de nouvelles pistes. C'est pourquoi j'ai branché le guitariste Leo Abrahams qui place ici et là des trucs un peu noisy. Il ne joue pas de la guitare, mais des sons. Ça ouvre des espaces, des horizons, dans lesquels je m'engouffre. Il ouvre des fenêtres !! » Et c'est vrai que cet acolyte de Brian Eno, en bon architecte du son, ne manque pas d'idées saugrenues : « Il joue de quelques bidules ridicules, comme d'une boîte de ressorts, mais peut aussi frapper sur sa guitare avec un stylo bille. » Décidément,Neil Cowley n'a pas fini de nous susprendre.

La nouvelle sensation power trio qui brouille les pistes est british et débarque en mars. Il jouait du Schostakowitsch au Queen Elisabeth Hall de Londres à 10 ans, puis découvre le rock, puis le jazz. Aujourd'hui, son trio compte parmi les formations de jazz récentes les plus importantes de Grande-Bretagne.

De fines lunettes et de longs doigts, Neil Cowley sous ses faux air de premier de la classe est plutôt le type de surdoué qui ne manque jamais de glisser une (deux, trois... et ainsi de suite) note d'humour entre les lignes. Pas le genre du sieur de se prendre trop au sérieux. Il a le bon sens de l'humour, so british, pince-sans-rire, qui laisse percer un rictus satisfait quand jaillit un trait bien placé. Et en musique, il en va de même. Pas question pour ce fringuant trentenaire de se la jouer dans la tradition. « Les musiciens de jazz britanniques que j'adore, comme Dudley Moore, un pianiste énormement sous-évalué, sont ceux qui sonnent typiquement anglais. Etre un jazzman en Angleterre, cela revient à être inaudible. La perception est bien différente de celle en France, où vous êtes tout de suite bienvenus. Mais je m'en fous après tout : ce qui me branche, c'est de faire de la musique, la mienne, si possible pas trop conne. »

Depuis cinq ans, il fait parler de lui outre-Manche, où son drôle de power trio renouvelle les codes de bonne conduite d'un jazz à l'anglaise longtemps engoncé soit dans le formol académique soit dans une formule simple et funky... Son format bien à lui renvoie à ses années de formation. Des leçons de classique pour commencer, Rachmaninov et Debussy en tête, avant que le prodige qui ne sentait pas tout à fait à son aise en de tels conservatoires décide de tout plaquer, à quinze ans, pour aller se taper la tournée des clubs de blues. Et puis très vite, à peine majeur, le ludion des claviers va commencer à jouer les touche-à-tous-les-registres, Brand New Heavies ou Fragile State, tendance plutôt électronique, mais aussi bientôt Adele la diva soul et ou Tom Jones le pape des crooners anglais. « Certes, j'ai suivi un cursus relativement académique, mais ma manière de penser ne l'est pas. Je privilégie l'expérience, le sens de la performance, le dialogue en temps réel. » Une certaine idée du jazz, quoi.

Les premières années du nouveau millénaire auront permis à ce curieux personnage, décalé de tous les clichés, de se bâtir un son singulier, au pluriel de tous ses subjectifs. Impossible de vouloir le ranger aux forceps dans une catégorie étriquée, difficile de résumer en deux mots son style. Tout juste peut-on dire que ces années éclectiques vont l'inspirer lorsqu'il choisit d'en revenir à son grand piano acoustique. Du trio jazz, il admet volontiers en avoir ingurgité gamin à la maison, quand sa mère se régalait des galettes de Fats Waller ou d'Erroll Garner. Quant à lui, il apprécie tout particulièrement le trio d'Ahmad Jamal : « Le sens de l'économie et l'énergie en même temps ! » Ce sont là sans doute deux des caractéristiques de l'art du trio selon Neil Cowley, que la critique comme le public n'ont pas manqué de comparer à quelques autres ovnis du troisième type apparus récemment dans la galaxie du jazz : les Suédois EST et les Américains Bad Plus. « Je prends cela comme un compliment d'être mesuré à eux, mais en même temps je ne peux me limiter à cela. EST, c'est EST. Personne ne peut faire mieux qu'eux. Je n'ai jamais rêvé de les copier à vrai dire, et si quelqu'un a ce sentiment, j'en serai triste. Quand je les ai découverts il y a une dizaine d'années, ils m'ont donné le courage de continuer dans ma voie. Mais quand j'ai trouvé ce chemin, j'ai alors décidé de ne plus jamais les réécouter. Et ça a été pareil pour Bad Plus, voici sept ans. » C'était juste avant qu'il fonde son trio, un son de rock dans le velours jazz, qui après deux premiers disques (Displaced en 2006 suivi de Loud... Louder... Stop) bien ouïes à Londres, va faire entendre la différence de son style en France, où son troisième opus, le bien-nommé Radio Silence, installe au tournant de 2010 un début de notoriété.

Elle devrait s'amplifier avec l'arrivée au printemps 2012 d'un quatrième volet de ce trio, produit par Jim Abbiss (Arctic Monkeys, Adèle, Ladytron, Kasabian), dont l'un des trois piliers a changé : le bassiste australien Rex Horan, vieil ami du batteur Evan Jenkins, du temps où ils vivaient aux antipodes (à Pearth plus précisémment), a intégré le band, en surlignant encore un peu plus la touche tout à la fois brute et esthète. « Ils sont ma main gauche, bien plus qu'une simple rythmique. Ils me donnent l'énergie, ils me filent des coups de pied au cul ! » Et c'est vrai que ce nouveau recueil met une bonne claque aux idées cramoisies d'un jazz engoncé dans ses archétypes. Plus que de reprendre des standards, Cowley persiste et signe un répertoire original, marqué par le sens de la mélodie pop rock qui peut rappeler par endroits la classe de Radiohead, par le goût de la boucle agencée apprise sur les dance-floors londoniens, et une vision cinématique héritée de John Barry, le Lord compositeur de bandes originales qui est l'une des ses références ultimes. Voilà sans doute pourquoi il convie cette fois un ensemble de cordes, dirigé par le violoniste et arrangeur Julian Ferraretto, pour le propulser en toute subtilité plus avant dans le monde magique de la musique kaléidoscopique. Là où tout est permis, des plages les plus recueillies à celles peuplées de bruits, du minimalisme sophistiqué aux turbulents renversements d'accords. Neil Cowley aime à jouer du paradoxe, de l'oxymore, d'où jaillit une savoureuse sève.

C'est ainsi qu'il faut entendre et comprendre The Face of Mount Molehill Mont, en référence à l'expression « Making a mountain out of a molehill» que l'on peut traduire par « en faire toute une montagne ». Soit tout un poème épique, constitué de douze miniatures ! « Ce titre renvoie à la manière dont je prends des choses quotidiennes et banales, pour les faire exploser en quelque chose d'épique et de romantique. Je suis, au fond, ce qui rend les montagnes musicales hors des taupinières. Les petites choses deviennent gigantesques. » Telle est la force de cette galette dont on n'a pas fini de faire le tour. Des éclats de rire plein les doigts aux accents de nostalgie, Neil Cowley en passe par de nombreux sentiments, sans jamais sombrer dans le pathos, toujours avec ce qu'il faut de distance amusée.

Emblématique de cette manière de (dé)jouer les conventions, l'ouverture de "Mini Ha Ha", basée sur un sample de rire de sa petite fille. «Elle jouait des bruits de pets sur un synthétiseur dans mon studio alors que je la filmais avec une caméra vidéo, et soudain, elle a laissé échapper ce rire mi Sid James-mi-Barbara Windsor. Il avait une merveilleuse musicalité ! » Du coup, il va l'harmoniser, en composer une mélodie qui peu à peu prend des atours plus méditatifs. Dessus, le pianiste s'élance dans une belle improvisation avec son trio, confirmant son habileté en la manière. Et le thème qui suit, « Slims », a tout du classique, un gimmick que l'on pourra fredonner aisément jusqu'au prochain été. Pour sûr, aucune plage ne ressemble à celle qui suit, toutes ressemblent bien à leur auteur. « Je voulais essayer de nouvelles pistes. C'est pourquoi j'ai branché le guitariste Leo Abrahams qui place ici et là des trucs un peu noisy. Il ne joue pas de la guitare, mais des sons. Ça ouvre des espaces, des horizons, dans lesquels je m'engouffre. Il ouvre des fenêtres !! » Et c'est vrai que cet acolyte de Brian Eno, en bon architecte du son, ne manque pas d'idées saugrenues : « Il joue de quelques bidules ridicules, comme d'une boîte de ressorts, mais peut aussi frapper sur sa guitare avec un stylo bille. » Décidément,Neil Cowley n'a pas fini de nous susprendre.


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