Samedi 18/05/2013
Lindigo
Au moment où la cadence du Kayamb commence à séduire les musiciens bien au -delà de l'océan Indien, Olivier Araste et son groupe Lindigo offrent un Maloya à la force rebelle intacte, et aussi ouvert sur le monde, avec des sonorités empruntées à Madagascar, à l'Afrique de l'Ouest, à la Jamaïque ou au Brésil. La pulsation hypnotique est d'autant plus prenante qu'elle repose sur l'essentiel : la voix véhémente, les chœurs à l'unisson et les mains qui frappent le bois ou la peau des tambours.
Un verre de rhum, une cigarette... dans les loges, juste avant de monter sur scène, Olivier Araste, charismatique leader du groupe de maloya réunionnais Lindigo, laisse systématiquement une petite offrande aux ancêtres : un rituel qui lui rappelle le sens de sa formation galvanisante, rattachée par le son et les sens, aux granmouns, ses aïeux. Lorsqu'il foule les planches de ses pieds nus, en marque de respect, ce descendant de Madagascar garde toujours au cœur et au corps l'esprit des Servis Kabaré, ces cérémonies d'hommage aux ancêtres, héritées des esclaves malgaches et africains. Sur scène, les huit membres de cette joyeuse troupe ne sont jamais seuls : autour de leurs polyphonies vocales, des tourbillons de rythmes emmêlés du piker, du rouler et du kayamb, les granmouns s'invitent à la fête. « Ils nous donnent la foi, le courage : une sensation très forte, comme le piment », précise Olivier.
D'une moyenne d'âge de trente ans, les membres de Lindigo regardent donc obstinément le passé. Pour autant, leur démarche ne s'enferme ni dans la nostalgie, ni dans les carcans d'une mémoire stérile. Les fondations servent l'élan, et les racines construisent l'avenir. Leur devise ? « Quand tu sais d'où tu viens, tu sais où tu vas ». Sûrement la raison pour laquelle Lindigo parle aussi bien aux jeunes générations. Aujourd'hui, Olivier et sa bande restent, avec plus de 500 concerts et trois albums à leur actif, l'un des groupes les plus populaires de l'île : ventes de disque au beau fixe, passages en radio, en clubs... Et lorsqu'ils débarquent sur les planches, leur transe jubilatoire, aussi identitaire qu'ouverte sur de nouveaux horizons, contamine inexorablement le public, tous âges confondus.
Le rougail maloya
Il faut dire que l'histoire commence tôt. Dans le ventre de sa mère, déjà, Olivier groove sur les rythmes du maloya. Dès la naissance, ce son, pratiqué dans les servis par ses grands-parents, coule dans ses veines, un véritable appel du ventre : haut comme trois pommes, le gamin rôde autour des marmites qui mijotent, joue du tambour malbar sur leur couvercle, et chante pour réclamer la pitance. Devant cet art pratiqué pour la noble cause, la maman séduite donne au petit malin un bout de viande, de pain, d'oignon, une cuillère de « grains »... Depuis, Olivier n'aura de cesse de considérer le maloya avec gourmandise. Il le compare volontiers au « rougail tomate » : comme ce condiment créole qui mêle avec adresse gingembre, épices, piment... le maloya abrite des influences malgaches, africaines, indiennes. Dans les cérémonies, Olivier apprend les recettes : d'abord, il écoute, tape des mains, puis il adopte les instruments et le chant. En parallèle, le jeune prodige joue de la guitare, de l'accordéon, de la batterie et officie, dès l'âge de neuf ans, dans diverses formations : l'Orchestre Dalleau, El Diablo, Destin, Dan keur, Grinn Dofé, Paille en queue, Françoise Guimbert... A l'adolescence, il se cherche, tâte du hard rock, du maloya fusion, écume les bals, les mariages... Partout où il passe, celui que l'on surnomme Gogo (en hommage à l'inspecteur Gadget) rafraîchit la musique, lui donne du peps : il devient progressivement « Lindigo », comme cette plante aromatique rafraîchissante et apéritive, très utile après des soirées arrosées.
Vers Madagascar
Dix-sept ans, 1999 : Olivier revient vers son premier amour, celui qui l'obsède, le maloya, tourné vers ses racines malgaches. Avec Lauriane, sa compagne, il fonde le groupe, peu à peu étoffé des autres dalons, des autres potes de Paniandy, son quartier de Bras-Panon, à l'est de l'île. Bals, fêtes... Lindigo se forge une petite réputation, avant de sortir son premier album, Misaotra Mama (« Merci Maman »), en 2004. Avec leur lamba, le pagne traditionnel de Madagascar, ils chantent en malgache, et ne perdent pas de vue la Grande Ile, sol de leurs ancêtres, terre d'héritage et terre promise, où ils ne cessent de faire des allers retours et des concerts, pour s'imprégner de son atmosphère. Leur credo : clamer, de façon positive, la fierté de leurs origines. Deux ans plus tard, leur deuxième disque, Zanatany (« Enfants du pays », en malgache), confirme leur talent. En 2006, ils deviennent « révélation locale » au Sakifo, LE festival de l'île et enflamment le public hexagonal lors d'une prestation époustouflante au festival Africolor. L'année suivante sera celle de la confirmation quand leur tube, La Caz A Nou, hante les ondes radio et les discothèques. En 2008, leur troisième opus, L'Afrikindmada, dix pistes de transe, chante le métissage du maloya.
Maloya Power
Aujourd'hui, le groupe s'apprête donc à ouvrir son quatrième volet : celui du « maloya power ». « Pour moi, le maloya, c'est un art de vivre au quotidien », raconte Olivier. Dans ce nouveau disque, ils visent une fois encore l'horizon du passé, rappellent l'interdiction qu'a subi le style jusque dans les années 1980 à La Réunion, poussent un coup de gueule, sans toutefois jamais se départir de leur bonne humeur. Comme son idole Fela Kuti, Olivier lance ses revendications sur un mode 100% groove. Sa marque de fabrique reste alors ce « maloya joyeux », ce « maloya 20 ans », loin de tout passéisme, de tout misérabilisme. Piste à piste, ils déroulent une explosion des sens, de transe, un feu d'artifice de bonnes vibes (du titre Bal Gayar à l'irrésistible Domoun), avec en background ce désir d'éveiller les consciences. Lindigo a grandi. De deux voyages au Brésil, ce « cousin musical », résultent des influences lisibles dans le titre Beleza. Et puis, il y a aussi la collaboration avec la compagnie de danse sud-africaine Via Kathlehong (Umqombothi Kabar) : « Ce travail m'a appris à structurer ma musique, à mettre des limites », explique Olivier. « Le maloya, ça tourne, ça tourne...avec les danseurs, tu es obligé de compter ». Enfin, les influences africaines avec le kamale n'goni, et le balafon viennent aussi affleurer. Réalisé par Fixi, le trublion déjanté du groupe Java, qui débride son accordéon à l'envie, avec la présence sur le titre Lamour du génial Loy Ehrlich, ce disque marque donc une nouvelle étape pour Lindigo. « C'est frais, ça respire, on a évolué », se réjouit Olivier. « Mais on n'en est encore qu'à la mi-temps ». A l'écoute de ce disque inventif, on devine que la route est longue : un chemin enraciné, sur un socle solide, mais qui peut mener très, très loin.
Au moment où la cadence du Kayamb commence à séduire les musiciens bien au -delà de l'océan Indien, Olivier Araste et son groupe Lindigo offrent un Maloya à la force rebelle intacte, et aussi ouvert sur le monde, avec des sonorités empruntées à Madagascar, à l'Afrique de l'Ouest, à la Jamaïque ou au Brésil. La pulsation hypnotique est d'autant plus prenante qu'elle repose sur l'essentiel : la voix véhémente, les chœurs à l'unisson et les mains qui frappent le bois ou la peau des tambours.
Un verre de rhum, une cigarette... dans les loges, juste avant de monter sur scène, Olivier Araste, charismatique leader du groupe de maloya réunionnais Lindigo, laisse systématiquement une petite offrande aux ancêtres : un rituel qui lui rappelle le sens de sa formation galvanisante, rattachée par le son et les sens, aux granmouns, ses aïeux. Lorsqu'il foule les planches de ses pieds nus, en marque de respect, ce descendant de Madagascar garde toujours au cœur et au corps l'esprit des Servis Kabaré, ces cérémonies d'hommage aux ancêtres, héritées des esclaves malgaches et africains. Sur scène, les huit membres de cette joyeuse troupe ne sont jamais seuls : autour de leurs polyphonies vocales, des tourbillons de rythmes emmêlés du piker, du rouler et du kayamb, les granmouns s'invitent à la fête. « Ils nous donnent la foi, le courage : une sensation très forte, comme le piment », précise Olivier.
D'une moyenne d'âge de trente ans, les membres de Lindigo regardent donc obstinément le passé. Pour autant, leur démarche ne s'enferme ni dans la nostalgie, ni dans les carcans d'une mémoire stérile. Les fondations servent l'élan, et les racines construisent l'avenir. Leur devise ? « Quand tu sais d'où tu viens, tu sais où tu vas ». Sûrement la raison pour laquelle Lindigo parle aussi bien aux jeunes générations. Aujourd'hui, Olivier et sa bande restent, avec plus de 500 concerts et trois albums à leur actif, l'un des groupes les plus populaires de l'île : ventes de disque au beau fixe, passages en radio, en clubs... Et lorsqu'ils débarquent sur les planches, leur transe jubilatoire, aussi identitaire qu'ouverte sur de nouveaux horizons, contamine inexorablement le public, tous âges confondus.
Le rougail maloya
Il faut dire que l'histoire commence tôt. Dans le ventre de sa mère, déjà, Olivier groove sur les rythmes du maloya. Dès la naissance, ce son, pratiqué dans les servis par ses grands-parents, coule dans ses veines, un véritable appel du ventre : haut comme trois pommes, le gamin rôde autour des marmites qui mijotent, joue du tambour malbar sur leur couvercle, et chante pour réclamer la pitance. Devant cet art pratiqué pour la noble cause, la maman séduite donne au petit malin un bout de viande, de pain, d'oignon, une cuillère de « grains »... Depuis, Olivier n'aura de cesse de considérer le maloya avec gourmandise. Il le compare volontiers au « rougail tomate » : comme ce condiment créole qui mêle avec adresse gingembre, épices, piment... le maloya abrite des influences malgaches, africaines, indiennes. Dans les cérémonies, Olivier apprend les recettes : d'abord, il écoute, tape des mains, puis il adopte les instruments et le chant. En parallèle, le jeune prodige joue de la guitare, de l'accordéon, de la batterie et officie, dès l'âge de neuf ans, dans diverses formations : l'Orchestre Dalleau, El Diablo, Destin, Dan keur, Grinn Dofé, Paille en queue, Françoise Guimbert... A l'adolescence, il se cherche, tâte du hard rock, du maloya fusion, écume les bals, les mariages... Partout où il passe, celui que l'on surnomme Gogo (en hommage à l'inspecteur Gadget) rafraîchit la musique, lui donne du peps : il devient progressivement « Lindigo », comme cette plante aromatique rafraîchissante et apéritive, très utile après des soirées arrosées.
Vers Madagascar
Dix-sept ans, 1999 : Olivier revient vers son premier amour, celui qui l'obsède, le maloya, tourné vers ses racines malgaches. Avec Lauriane, sa compagne, il fonde le groupe, peu à peu étoffé des autres dalons, des autres potes de Paniandy, son quartier de Bras-Panon, à l'est de l'île. Bals, fêtes... Lindigo se forge une petite réputation, avant de sortir son premier album, Misaotra Mama (« Merci Maman »), en 2004. Avec leur lamba, le pagne traditionnel de Madagascar, ils chantent en malgache, et ne perdent pas de vue la Grande Ile, sol de leurs ancêtres, terre d'héritage et terre promise, où ils ne cessent de faire des allers retours et des concerts, pour s'imprégner de son atmosphère. Leur credo : clamer, de façon positive, la fierté de leurs origines. Deux ans plus tard, leur deuxième disque, Zanatany (« Enfants du pays », en malgache), confirme leur talent. En 2006, ils deviennent « révélation locale » au Sakifo, LE festival de l'île et enflamment le public hexagonal lors d'une prestation époustouflante au festival Africolor. L'année suivante sera celle de la confirmation quand leur tube, La Caz A Nou, hante les ondes radio et les discothèques. En 2008, leur troisième opus, L'Afrikindmada, dix pistes de transe, chante le métissage du maloya.
Maloya Power
Aujourd'hui, le groupe s'apprête donc à ouvrir son quatrième volet : celui du « maloya power ». « Pour moi, le maloya, c'est un art de vivre au quotidien », raconte Olivier. Dans ce nouveau disque, ils visent une fois encore l'horizon du passé, rappellent l'interdiction qu'a subi le style jusque dans les années 1980 à La Réunion, poussent un coup de gueule, sans toutefois jamais se départir de leur bonne humeur. Comme son idole Fela Kuti, Olivier lance ses revendications sur un mode 100% groove. Sa marque de fabrique reste alors ce « maloya joyeux », ce « maloya 20 ans », loin de tout passéisme, de tout misérabilisme. Piste à piste, ils déroulent une explosion des sens, de transe, un feu d'artifice de bonnes vibes (du titre Bal Gayar à l'irrésistible Domoun), avec en background ce désir d'éveiller les consciences. Lindigo a grandi. De deux voyages au Brésil, ce « cousin musical », résultent des influences lisibles dans le titre Beleza. Et puis, il y a aussi la collaboration avec la compagnie de danse sud-africaine Via Kathlehong (Umqombothi Kabar) : « Ce travail m'a appris à structurer ma musique, à mettre des limites », explique Olivier. « Le maloya, ça tourne, ça tourne...avec les danseurs, tu es obligé de compter ». Enfin, les influences africaines avec le kamale n'goni, et le balafon viennent aussi affleurer. Réalisé par Fixi, le trublion déjanté du groupe Java, qui débride son accordéon à l'envie, avec la présence sur le titre Lamour du génial Loy Ehrlich, ce disque marque donc une nouvelle étape pour Lindigo. « C'est frais, ça respire, on a évolué », se réjouit Olivier. « Mais on n'en est encore qu'à la mi-temps ». A l'écoute de ce disque inventif, on devine que la route est longue : un chemin enraciné, sur un socle solide, mais qui peut mener très, très loin.
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